Pourquoi les fleurs ? Lettre ouverte sur l'industrie des fleurs coupées
Les Hommes utilisent les fleurs depuis des milliers d’années pour des raisons religieuses, sociétales et médicinales. Une grande partie des espèces et des variétés de fleurs que nous connaissons aujourd’hui est originaire des pays orientaux. C’est le cas notamment de la tulipe qui provient originellement de Turquie. A partir du XVIIème siècle, l’importation de fleurs est soutenue par une politique impérialiste des monarchies européennes. Mais les fleurs avant cela sont utilisées dans plusieurs civilisations telles que l’Egypte Ancienne, la Grèce Antique, ou le Japon du temps des Empereurs.
Les fleurs, qu’elles soient représentées sous forme de bouquet, ou en peinture, ont une symbolique, et des codes floraux ont été mis au point pour différentes représentations tels que le deuil, le mariage, ou la naissance (nuance, couleur, forme). Par ailleurs, la fleur est un chainon essentiel de la pollinisation puisque c’est à travers le pollen d’une fleur et le pistil d’une autre que la reproduction sexuelle a lieu au sein de la famille botanique des angiospermes (plantes à fleurs).
L’espace alloué à la culture de fleurs peut donc se justifier, au même titre qu’il en faut pour les fruits et les légumes. Maintenant, sachant que les fleurs ont une signification anthropologique et un rôle dans la survie d’une espèce végétale, il conviendrait d’essayer de rendre la production de fleur la moins vorace possible en termes de consommation énergétique, pesticide, et autres intrants/sortants. Une proposition de résolution serait de mettre en place des processus écologiques sur les espèces horticoles (espèces cultivées par l’homme, ou cultivars), qui pourront s’inspirer des processus écologiques des espèces botaniques (espèces indigènes telles que celles que l’on trouve dans leur espace naturel). Bien que de grandes avancées génétiques des cultivars aient permis de produire des fleurs avec une immunité beaucoup plus forte que ce qui peut se trouver dans la nature.
Par ailleurs, l’appropriation de la fleur par l’homme a été au fil des siècles significative entrainant l’apparition d’effets environnementaux. Ce texte s’intéresse à l’industrie de la fleur coupée et au métier de fleuriste.
Des fleurs à contre saison
Dans le métier de la fleur, il est souvent question de ce qui est communément considéré comme étant le paradoxe du fleuriste. Il s’explique par le fait que les fleuristes des pays occidentaux s’approvisionnent en végétaux qui ne pousseraient pas dans une période de temps donnée dans leur pays (l’appareil végétatif des fleurs vendues en boutique n’est pas toujours programmé pour produire des tiges en fleurs toute l’année).
Ainsi les fleurs vendues en boutique sont majoritairement produites dans l’Hémisphère Sud (notamment au Kenya et en Colombie). Une fois produites, elles sont acheminées par voie aérienne ou maritime sur les territoires européens.
Concrètement, le paradoxe réside dans le fait qu’il n’y a plus de saison chez un fleuriste. N’importe quelle fleur sera disponible à l’importe quel moment de l’année en boutique. En gros, les fleurs poussent loin dans un climat adapté, pour ensuite être importée, coupée et réfrigérée. La saisonnalité naturelle définit en fonction du positionnement géographique est détournée par l’importation de ressources produites dans une autre partie du globe jouissant d’un climat différent (comme pour les fruits exotiques).
Les fleurs peuvent également être produites à des distances plus faibles des lieux de distribution mais en climat artificiel, sous serre chauffée, il s’agit là de croissance forcée localement.
Une dernière option refait surface, celle des productions locales à plus grande échelle avec respect de la saisonnalité, sans chauffe des serres. La production française a diminué à la fin du XXème siècle car les producteurs ont vendu leur terrain à des promoteurs immobiliers leur proposant de grosses sommes d’argent (notamment dans le sud de la France).
La question du traitement chimique des fleurs avant et après coupe
Le métier de fleuriste se traduit par l’adaptation d’un milieu rural vers un mode de vie urbain, industrialisé et optimisé. Les fleurs sont considérées comme une marchandise, avec une industrie dédiée, et des machines robotisées allouées. C’est pourquoi la fleur, au travers d’une production intensive et les produits dérivés qui l’entourent, véhicule l’idée de l’homme ayant domestiqué et détourné un produit de la nature.
De plus, la production de ces dernières entraine des problèmes sanitaires et environnementaux. Par exemple, les fleurs peuvent être traitées avec des pesticides lors de leur production puis mis à l’eau avec des conservateurs une fois en boutiques. Ces pesticides et conservateurs se retrouveront donc sur les mains des fleuristes et des particuliers qui manipulent les fleurs sans protection, puis dans les éviers des ménages, puis dans les stations de traitement des eaux.
La mousse hydrophile qui fait débat
Peut-on parler de contradiction lorsqu’un métier qui utilise des végétaux comme matière première de son artisanat, a recours à des pratiques environnementalement controversées ? Par exemple, les fleuristes se sont rendus compte qu’il était plus pratique d’utiliser des mousses hydrophiles faites à base de pétrochimie pour développer des arrangements floraux, plutôt que de les mettre dans des vases d’eau. C’est le cas notamment des gerbes, symbole du deuil, qui sont majoritairement piquées dans de la mousse hydrophiles et posées sur le cercueil d’un défunt.
Plus pratique, mais pourquoi ? Parce qu’une fois la cérémonie finie, les fleurs sont mises de côté et souvent sans eau, et parce que si, par malheur, les fleurs arrivent fanées lors de la cérémonie, la faute incombera au fleuriste. Pourquoi acheter des fleurs si c’est pour ne pas s’en occuper derrière ? Le fleuriste ne fait que répondre aux demandes de sa clientèle, et s’adapte pour la satisfaire, mais une fois le produit vendu, l’entretien ne suit pas systématiquement.
Ainsi, le cas du deuil peut faire l’objet d’une certaine négligence envers le végétal. La réponse du fleuriste a été de s’adapter en trouvant une solution efficace et sans contraintes directes pour permettre à la composition florale d’être manipulée facilement, tout en laissant les végétaux hydratés. C’était une solution très performante, mais les limites liées à l’exploitation du pétrole ne sont plus à prouver.
Les dérives des consommateurs
Dans ce cas d’étude, comme dans beaucoup d’autres, la faute incombe à la fois aux professionnels et aux consommateurs. Par exemple, le fait que de grandes enseignes vendent des plantes vertes à grande échelle pour les ménages et que l'offre soit aussi forte constitue une impasse environnementale.Ces plantes vertes ne sont pas produites localement, en fonction des tendances, et il y a énormément de pertes. Quand on traite du végétal, il faut apprendre à avoir une consommation raisonnée et non abondante.
Un autre exemple, où beaucoup serait à redire, est celui du monde de la mode. Le respect du végétal y est tout sauf présent. Dans ce milieu, des contrats sont signés entre des professionnelles de la fleur et des enseignes de la mode pour des prestations végétales en lien avec des évènements tels que des showrooms, ou bien une semaine de la mode. Mais le végétal n’est pas du tout respecté puisqu’après l’évènement, les produits végétaux sont délaissés. Encore une fois, un gros travail de sensibilisation est à faire dans ce monde où l’argent est roi et il est raisonnable d’énoncer que le milieu de la mode peut représenter l’archétype de la différenciation entre le végétal et l’humain.
Vers un modèle économique différent
En France, la situation actuelle de la fleuristerie peut se résumer en un concours de circonstance entre les promoteurs immobiliers qui se sont appropriés les espaces, le fait qu’il y ait de la place ailleurs avec un climat plus adapté, et la demande en fleurs qui n’a jamais cessé. Sans oublier que la mainmise de la Hollande sur l’industrie de la fleur coupée est extrêmement puissante. En effet, une grande partie de la production mondiale transite par le marché aux cadrans de la ville d’Aalsmeer. Beaucoup des approvisionnements quotidiens en fleurs des boutiques de province se font par camion depuis cette ville où plusieurs matins par semaine, les négociants vendent aux enchères les stocks de fleurs.
Par ailleurs, la production délocalisée a ouvert des emplois pour les populations locales. Le fait d’arrêter la production en circuit long aurait des conséquences dramatiques pour l’économie des pays producteurs.
L’objectif du fleuriste est de réussir à vivre de son métier tout en amenant du bonheur floral à ses clients et son entourage. Il s’agit de l’action du commerçant et est, dans une grande partie des cas, un métier qu’il exerce avec passion. Il semble alors étonnant que le respect de l’environnement soit incompatible avec le métier de fleuriste en sachant que les fleurs sont directement issues des écosystèmes terrestres.
Peut-on espérer arriver à une production de plus en plus raisonnée en circuit long et en circuit court ? La demande ne risque pas de décroître à moins d’une décroissance forcée. Il est vrai également que les fleurs, les plantes vertes d’intérieur et d’extérieur sont un luxe. L’acquisition d’un bouquet de fleurs ou d’une plante verte représente un certain coût (proportionnel à la qualité du procédé de production). Sans oublier les feuillages qui font la force et le volume du bouquet. Tout porte à croire que ces feuillages vont coûter très cher à la vente dans les décennies à venir. Il sera en effet difficile, à cause des conditions de production de plus en plus extrêmes dues aux variations de températures, de continuer à faire de la place pour produire des arbres et arbustes sur de grands espaces.
La vente de fleurs risque d’en pâtir dans le cas où des mesures drastiques de décroissance devraient être prises par les autorités, les fleurs décoratives n’étant pas vitales. Avant d’en arriver là, espérons une prise de conscience généralisée des réalités de la fleuristerie, tout comme dans beaucoup d’autres secteurs d’activité, pour faire avancer nos modes de consommation. En termes d’échelle, il reste vrai que le marché de la fleur, avec tous ses tenants et aboutissants, est beaucoup moins nocif pour l’environnement que celui du textile, de l’énergétique, des transports, de l’aéronautique ou même de l’agroalimentaire. Mais il faut en parler… Si vous voulez continuer à fleurir votre salon.
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