Débat autour de la mousse qui retient l’eau dans les compositions florales
Je suis bien inspirée de faire des discours sur l’environnement et les pratiques à changer pour le bien de la Terre et de l’humanité sachant que je vécu une enfance très heureuse, ce en partie grâce au plus fort des capitalismes. Au travers des salaires de mon père et de ma mère, j’ai passé des vacances estivales en Corse de mes 2 ans à mes 12 ans, et des vacances hivernales au sport d’hiver. J’ai pu profiter d’une jeunesse insouciante dans une belle maison en Bretagne avec un grand jardin, un toboggan, un trampoline et même une cible à tir à l’arc. J’ai découvert le monde dès mon plus jeune âge, et j’ai aimé prendre l’avion pendant de longues heures pour découvrir cette terre.
Ma mère travailla pendant plus de 30 ans dans une grande industrie pharmaceutique, et survécut à plusieurs plans sociaux avant de finalement accepter une retraite anticipée. J’appris plus tard qu’elle avait, comme beaucoup d’autres salariés, mis son argent en bourse en achetant des parts de son entreprise. Elle a gagné beaucoup d’argent derrière. Ainsi donc, la maison d’enfance avait été en partie financée par une entreprise pharmaceutique. Mon père en tant qu’ingénieur réseau, et avant ça électronicien sur des plateformes offshore pétrolières, aura toujours cherché à se renouveler dans son travail, en allant jusqu’à partir vivre en Arabie Saoudite en tant qu’expatrié pendant 4 ans. Quant à moi étant petite, j’utilisais les nombreuses tours d’ordinateur qui peuplaient le bureau pour en faire des maisons de poupées. Plus tard adolescente, je passai un nombre d’heures pharamineux sur mon ordinateur, monté par mon père, dans ma chambre, pendant que lui et mon frère étaient sur leur propre ordinateur, dans deux autres pièces de la maison.
Donc finalement, où est la crédibilité dans les propos que j’avance à mes parents sur les méfaits des sacs plastiques quand on sait qu’une grande partie de mon existence (c’est le cas toujours aujourd’hui) a pu jouir d’une santé de fer, dans un pays, la France, non contraint par la guerre sur son territoire, sans famine, mais dans l’abondance, la joie, la piscine gonflable l’été, les barbecues, l’école et l’insouciance. Je n’ai connu que le capitalisme, et c’est difficile de changer les choses profondément, sans green washing, après avoir vécu une joyeuse vie si remplie et diversifiée.
Comment pourrions-nous accepter un retour en arrière généralisé tout en étant heureux ? Je suis prête à faire des efforts, à changer mes habitudes. Je remets toujours tout en cause, mais comme à chaque fois il y a beaucoup de tenants et d’aboutissants dans l’équation qui sont à prendre en considération. Mon père aime raconter avec ironie qu’à Noël, après avoir ouvert la montagne de cadeau que mes cousins, mon frère et moi recevions, c’étaient avec les cartons d’emballage que nous jouions le plus. Mais ça nous faisait plaisir de recevoir ces cadeaux. Comment trouver l’équilibre dans une société où rien n’a jamais été réellement équilibré ?
Pour illustrer ce propos, je propose un voyage au pays de la mousse hydrophile, la mousse en forme de brique que les fleuristes utilisent pour fleurir les deuils et les mariages.
Certains déclareront qu’il faut absolument arrêter de produire ce produit issu de la pétrochimie, d’autres diront que, c’est tout un pan de l’économie derrière qu’il faut prendre en considération.
L’emploi de ses mousses retenant l’eau dans lesquelles les fleurs sont piquées symbolise bien le métier de fleuriste urbain, puisque ces mousses permettent de s’adapter aux contraintes de temps, de mobilité et de logistique en ville. Comment réussir à réinventer le métier de fleuriste urbain sans ce produit ou en le réutilisant ? Je recopie ici les propos collectés lors d’un échange de mails avec Sylvain Baudart, directeur général de la société Smithers-Oasis-France. Cette société fabrique des produits floraux, telles que les mousses hydrophiles ou bien les produits de soin pour les fleurs coupées.
« La fleur, une fois coupée, se trouve dépourvue de ses racines, fragilisée, blessée, privée de nourriture et devant s’adapter à sa nouvelle vie. Elle devient dépendante de ce que vous allez en faire.
Quels sont ses besoins ?
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De l’eau
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Des éléments nutritifs
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Un pH adapté
La mousse hydrophile OASIS® a été étudiée pour pallier aux manques des fleurs une fois coupées, et faire en sorte qu’elle puisse durer le plus longtemps possible.
Elle est composée de résines synthétiques.
Elle a été inventée en 1954 par un chimiste Vernon SMITHERS, dont la femme était fleuriste, il lui a donné le nom OASIS® car c’était une source d’eau pour les fleurs.
Il en existe de plusieurs sortes, de la mousse dite phénolique, plus tendre, pour une utilisation multiple et quotidienne, et de la mousse polyuréthane, plus résistante et plus dure au piquage, pour le deuil, EYCHENNE®.
Pour qu’elle puisse retenir l’eau, il est indispensable d’ouvrir les cellules des résines, pour cela on injecte dans la formule un gaz qui va ouvrir ces cellules.
Après la fabrication, on laisse reposer les blocs 24 h avant découpe, pour que ce gaz puisse s’évaporer complètement, de manière à livrer aux fleuristes un produit complètement sûr.
Nous attachons une extrême importance à la qualité des résines, car c’est, au final, ce qui fait la qualité de la mousse.
Les résines que nous avons trouvées chez OASIS®, bien que chimiques, sont celles qui se rapprochent le plus du tissu naturel des fleurs, c’est ce qui explique une parfaite symbiose entre la mousse et la tige.
Pour qu’elle boive bien (l’eau monte par capillarité à l’intérieur des tiges jusqu’aux têtes), la fleur coupée a besoin de beaucoup d’acidité (pH idéal entre 3 et 5, quand le pH neutre à la sortie du robinet est à 7, c’est-à-dire neutre). Que cela soit en vase ou piquée.
Cette notion de pH est INDISPENSABLE à une bonne tenue de la fleur. […] Une fois bien imbibée, la brique doit contenir environ 2 litres d’eau (la quasi-intégralité de son volume). Elle doit ensuite bien la garder, pour la restituer aux fleurs, c’est aussi ce qui fait la force de la mousse florale OASIS®.
Nous venons par ailleurs de sortir la mousse OASIS BIOdégradable. Elle se dégrade de 91% en 3 ans.
La prochaine étape est de trouver la formulation d’une mousse d’origine végétale, toujours de fabrication non polluante, et qui ait la même qualité de sorte que les fleurs puissent durer aussi longtemps que la formulation actuelle. »
Après plusieurs questions sur le sujet, j’appris que l’on pouvait produire des plants de tomates dans cette mousse avec certains avantages comme celui de ne pas faire venir d’insectes et de maladies que le sol apporte naturellement. Ou encore le fait que la consommation d’eau soit entièrement contrôlée et plus faible grâce à ces mousses. C’est une façon justifiable de s’adonner à la réutilisation contrôlée et recyclée d’un produit pétrochimique. Mr Baudart m’a fait réaliser que leur société ne pouvait disparaitre du jour au lendemain. Elle existait, faisait vivre des foyers, et prenait au sérieux les problèmes environnementaux que ses produits engendraient. Rien n’est tout blanc ou tout noir, et des efforts sont fournis pour faire évoluer la pratique et l’usage de cette mousse.
D’après Sylvain Baudart, tous les déchets, liés à la découpe de formes des mousses, sont recyclés et intégrés dans du terreau car ils ont une vertu de rétenteur d’eau et le sol s’en accommode très bien. Par ailleurs, l’entreprise est soumise tous les deux ans à des contrôles très strictes de la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’aménagement et du logement). Mais ailleurs où elle opère, il y a-t-il également des contrôles fort pour s’assurer que les taux de pesticides ou tout autre produit phytosanitaire sont aux normes ? De plus, par expérience, un pain de mousse en fin de vie (une fois les végétaux fanés) se retrouvera dans la poubelle classique (donc incinération derrière). Je pense que peu de personnes prennent le temps de déposer les mousses hydrophiles sur le sol de terrain vert.
Le changement de mœurs sera opéré quand les gens comprendront que l’utilisation de cette mousse va de pair avec une industrie excessive de plantes vertes et de fleurs. Mais il faut toute de même remettre les choses dans son contexte en termes de proportion, et la pollution liée à la production de cette mousse est vraiment faible, le marché de la mousse hydrophile étant insignifiant. En parlant avec Mr Baudart je me suis retrouvée face à une personne qui connaissait son sujet sur le bout des doigts, qui défendait son entreprise mais qui avait extrêmement bien étudié la question de la pollution liée à la production de polyuréthane dans l’industrie de la floriculture. C’est ce que je reproche aux personnes 100% pro local et aliénées par le green whashing. Discuter avec ces personnes est difficile, et finalement ils ne font que suivre une tendance qui les dépasse.
Je ne peux m’empêcher de penser à tous ces objets du quotidien que nous utilisons issus du pétrochimique, un tapis de yoga par exemple, pouvons-nous produire des plants de tomates dedans ? Un ballon de foot crevé mis à la poubelle finira très certainement par être incinéré. Les gens, en France ne « consomment » qu’une brique de mousse hydrophile tous les 6 ans. C’est faible par rapport au nombre de brosses à dents électriques et téléphones portables contenant des métaux rares et lourds, qui circulent autour de nous au cours de notre vie, ou bien encore l’énergie dépensée par des milliards de personnes à recharger les smartphones et autres tablettes pour aller sur les réseaux sociaux, par exemple.
Il est admirable d’essayer de mieux consommer, mais si l’on veut pousser la logique jusqu’au bout, alors ce sera absolument tout qui sera à remettre en cause pour mieux consommer. J’étais partisante du zéro déchet, mais à quelle échelle cela est-il réellement utile ? Les personnes adeptes du zéro déchet continuent de travailler pour des entreprises polluantes (surtout celles qui disent produire de l’énergie verte), continuent de consommer des bières pas chers le soir pour s’enivrer la tête après le travail, continuent à prévoir leurs vacances en avion, et elles ont raison. Moi-même j’achète des graines conditionnées dans des sacs en plastique pour les mettre dans des bocaux en verre après. En tant qu’ingénieur, et aux vues de réalités du marché du travail, il est quasiment impossible de refuser un poste par principe, surtout dans une ville comme Paris ou vivre coute cher.
Nous nous devons d’être rationnel, et tant qu’un reconditionnement général de la population n’aura pas été fait, la révolution verte ne verra pas la jour. La décroissance partielle est une alternative qui semble envisageable mais comment la mettre en place après tant d’années heureuses ? Est-ce que la décroissance entrainera la fin des inégalités ? Chaque chose à son échelle, certes, mais cela semble tout de même futile de s’intéresser aux fleurs qui polluent, quand ailleurs des populations subissent des conflits dramatiques mettant leur vie en péril, même si tout finira par se lier pour le pire ou le meilleur.
De plus, la production délocalisée de fleurs permet de subvenir aux besoins de populations locales, les fait vivre et en cela constitue un choc de civilisation. Est-ce qu’une famille de la classe moyenne kenyane a des bouquets de fleurs chez elle ? Pourquoi produire si loin une ressource qui pourrait être exploitée plus proche ? A la différence des métaux rares qui eux se trouvent à tel endroit sur terre, notamment la Chine, mais que tout le monde s’arrache, les fleurs peuvent être produite sur place, chez ceux qui en consomment. Quelle est la solution idéale ? Peut-être l’intégration de la raison dans chaque tâche quotidienne, réfléchir, toujours réfléchir et aller moins vite.
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