Le Marché aux fleurs de Rungis, (MIN), histoire, business et royalties
Le bruit des racks de chargement :
Le marché de Rungis est la plaque tournante de l’industrie de la fleur coupée et du végétal. C’est un Marché d’Intérêt National (MIN), il en existe plusieurs en France.
Considérez le MIN de Rungis comme une véritable ville dans la ville qui s’active quand nous dormons, où les travailleurs exercent leur métier de nuit ; l’après-midi, plus grand monde ne met les pieds là-bas.
A chaque fois que je suis allée à Rungis, j’ai été marqué par cet univers décalé, où le gens prennent l’apéro à 7h du matin après avoir travaillé dur toute la nuit. C’est véritablement un monde à part qui s'ouvre devant nous, et nous marque par la dure réalité de ce que je représente réellement un bouquet de fleur une fois acheté au commerce du coin.
Un ou une fleuriste doit venir s’approvisionner ici en moyenne deux à trois fois la semaine en fonction des événements de sa boutique. Pour se faire le fleuriste, (le cas du boucher, poissonnier, primeur est équivalent), le fleuriste donc se lève entre 4h et 5h de matin pour aller faire ses achats en fleurs coupées et plantes en pots. Il ou elle enchainera sur une journée complète en boutique à préparer l’arrivage pour le vendre. Préparer l’arrivage signifie nettoyer les végétaux, en faire des bottes, et les mettre à l’eau. Le conditionnement des fleurs se fait en chambre froide bien que le choc thermique soit rude pour les fleurs, mais certaines boutiques n’ont pas de chambre par soucis économique, de place ou par respect du végétal. Généralement les fleuristes éco-responsables n’ont pas de chambre froide et préfère expliquer à leurs clients les raisons qui ont motivés leurs choix (surconsommation énergétique, fleurs non adaptées, etc.) Les fleuristes qui travaillent avec des fleurs locales sont souvent ceux qui n’ont pas de chambre froide pour stocker leurs fleurs.
Le bal des fleurs coupées :
Il est exact de dire que le MIN de Rungis n’est plus à son apogée d’activités, voir même, est en déclin. Historiquement beaucoup plus riche en producteurs indépendants qui venaient vendre les fleurs toutes fraiches au jour le jour, depuis que la Hollande a opéré la mainmise de ce site en rachetant les parcelles de production aux alentours, le marché s’est segmenté, structuré et a diminué en diversité. Les terrains agricoles ont été rachetés des miettes de pains par la Hollande. Avant, Rungis était rempli d’étales de fleurs françaises. Aujourd’hui il n’y a plus d’étales « sauvages » et peu de regroupement de producteurs français (peut-être 3 ou 4 sur Rungis). Tout porte à croire qu’à l’avenir, les fleuristes passeront directement par la Hollande pour s’approvisionner. C’est déjà le cas des commerces éloignés de Paris qui eux, se font directement livrés en fleurs coupées par camion des Pays-Bas.
Au-dessus de Rungis, il y a en effet le marché au cadran d’Aalsmeer au Pays-Bas, c’est ici que tout se joue. Les fleurs du monde entier transitent par Aalsmeer, les prix sont faits en fonction de l’offre et de la demande et de là sont acheminées par gros camion à Rungis. La force de la Hollande est telle que des royalties sont demandés tous les ans par les acheteurs français.
Pour résumer il y a la production de plantes et fleurs coupées, puis les mandataires assermentés et les clients qui achètent ensuite à Rungis. Les mandataires travaillent à Rungis, touchent 20% de marge et revendent au meilleur prix la production.
Malgré tout ça il existe un rapport de confiance très fort entre les mandataires et les clients, la bienveillance est palpable et on sent que l’entraide est forte entre travailleurs. Surtout entre les producteurs individuels et les commerçants.
Le bon temps avant ?
Non, ce serait faux que d’affirmer cela. Dans les années 50 il y avait beaucoup plus de pauvreté qu’aujourd’hui au niveau des producteurs de fleurs, et si les fleurs étaient vendues sauvagement c’était parce qu’il n’y avait pas d’autres solutions. Les producteurs locaux devaient vivre dans des conditions difficiles, et vendre leurs bouquets mais le travail manuel était dévalorisé. Les entreprises étaient familiales mais n’offraient pas de perspectives réjouissantes pour les générations à venir. En ça la Hollande a été un renouveau, une alternative commerciale davantage structurée avec de véritables perspectives d’avenir et d’expansion. Pour autant les abus de la surconsommation sont arrivés, et les dégâts planétaires du commerce de la fleur ont vite fait surface. Un autre problème vous me direz mais une avancée tout de même.
Même aujourd’hui les producteurs de fleurs françaises doivent faire face, la Hollande est encore extrêmement présente et majoritaire sur le marché. A Paris, la fleur française est à la mode mais est-ce qu’'elle le restera ? Qu’en est -il des autres villes de France ? Tout porte à croire qu’il faudra encore beaucoup d’énergie pour que l’ensemble des commerces français arrivent à transformer leur métier vers une économie responsable lié aux réalités actuelles. Une solution serait peut-être de faire du protectionnisme ciblé et d’éviter les mandataires. C’est réalisable puisque le pays produit déjà ses propres fleurs.
La formation fleuriste-léger cris d’alarme
"Où le cocktail de contradiction de la filière."
Les écoles de formation sont encore à la traîne, se disent conscientes des abus mais ne font pas grand chose pour faire évoluer les choses. Elles ne sont que les suiveuses soumises au marché, avec comme sponsor les plus gros pollueurs de l’industrie telle que la fameuse mousse hydrophile OASIS dont j’ai fait un précédent article. La majorité des étudiants sont d’accord pour dire que la formation n’est plus du tout au goût du jour, et le référentiel plus adapté aux souhaits des clients, mais c’est encore un autre sujet.
Mon responsable de boutique, me racontait par exemple comment était le métier avant la mousse hydrophile. Les gerbes (structure végétale posée sur le cercueil d'un défunt) étaient faites sur une base de paille, on parlait de couronne sur paillon, avec des planches de bois, généralement du bois de Nice. On imagine bien qu’aujourd’hui, il n’est plus envisageable de prendre le temps pour de telles réalisations.
Avant l’existence de cette mousse OASIS, les fleuristes piquaient les fleurs à l’aide de clous en métal, ce qui occasionnait un temps de main d’œuvre incroyable, et des durées de vie de fleurs d’environ une journée maximum. D’où la petite révolution qui a fait vivre des générations de fleuriste. Aujourd’hui, appliquer un tel temps de main d’œuvre sur une couronne ou un dessus de cercueil, conduirait à des produits finaux hors du prix du marché.
Et maintenant
J’ai le témoignage d’une des fondatrices de Désirée (café-fleur responsable dans Paris, https://desireefleurs.fr/) qui me disait qu’il y a 5 ans, quand elle demandait aux producteurs pourquoi ils ne faisaient pas de fleurs françaises, ces derniers lui riaient au nez. Aujourd’hui il y en a finalement de plus en plus et Désirée a été un acteur majeur de ces changements sociétaux.
A Rungis, la fleur est souvent considérée comme une marchandise comme une autre ce qui entraine des dérives folles et des abus loin des principes écologiques actuels. Le défi sera de retrouver les savoir-faire d’antan adaptés aux mouvements des grandes villes et à l’ère du temps. Il existe déjà beaucoup d’alternatives. A mon échelle, je peux juste vous donner un conseil : n’achetez pas de bouquets en grande surface, ceux sont les pires en termes d’empreinte écologique.
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